80 ans depuis l’arrivée de ce tableau historique au Centre d’Art

© Haitian Art Society

« L’arrivée du président Roosevelt au Cap-Haïtien », peint par Philomé Obin, est la toile qui a marqué le début de l’émergence de l’art naïf. Elle est entrée au Centre d’Art en 1944, un an avant que Gómez Sicré ne la découvre.

Janvier 1945. José Gómez Sicré est à Port-au-Prince pour préparer l’exposition « Les peintres modernes cubains », qui se déroulera du 8 janvier au 4 février. Il est chargé d’assurer le commissariat de la première exposition d’artistes étrangers au Centre qui vient tout juste d’ouvrir ses portes. 

Plaquette de l’exposition « Les peintres modernes cubains » à Port-au-Prince.

Au cours d’une visite dans les réserves du Centre d’Art, Sicré tombe sur une toile de Philomé Obin qui illustre l’arrivée dans le pays de Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis d’alors. Carlo A. Célius parle d’une « rencontre fortuite d’un regard et d’une peinture. Sicre reconnait en celle-ci plus qu’une simple production : il y voit de l’art »[1], commente l’historien de l’art. 

Le Cubain demande alors à rencontrer l’artiste. Peters établit la connexion. Sicré apprendra plus tard que cette esthétique est commune à plusieurs autres artistes du pays. Si Celius, dans son ouvrage Langage plastique et énonciation identitaire, fait savoir que Sicré avait déjà été informé de l’existence de « l’art populaire » par d’autres peintres cubains qui ont visité le pays avant lui, il estime que la découverte n’a pas été préméditée, dans la mesure où son intervention dans les réserves du Centre d’Art n’était pas programmée. « Relevons aussi qu’elle a eu lieu au sein d’un établissement artistique et non au cours d’une quelconque exploration dans les profondeurs du pays », ajoute-t-il. 

Le curateur d’art propose alors de réaliser l’exposition des peintres haïtiens qu’il souhaite présenter à Cuba, avec les œuvres de ces artistes qui, selon lui, expriment mieux l’authenticité haïtienne. En avril 1945, José Gómez Sicré réalise l’exposition « Les Peintres populaires haïtiens à la Havane ».

Cette exposition a provoqué une euphorie, surtout à l’international, pour ce type d’art, ce qui s’est traduit par des réflexions intellectuelles, scientifiques et des expositions. Michel Philippe Lerebours, dans le tome II de son ouvrage « Haïti et ses peintres », souligne cet engouement :

C’est sans difficulté que la peinture primitive s’est imposée tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Ce fut d’abord à la Whyte Gallery de Washington que les artistes populaires haïtiens exposèrent du 8 au 30 avril 1946. Transportée à New York, au British Art Center, au mois de juin de la même année, cette exposition souleva un incomparable enthousiasme. Mais, le plus grand succès fut incontestablement remporté à l’Exposition internationale d’Art moderne organisée par l’UNESCO, au Musée d’Art Moderne de Paris, du 18 novembre au 28 décembre 1946 avec la participation de 30 nations. 

Six ans plus tard, se souvenant de cet événement, le journal allemand Die Welt de Hamburg du 11 août 1953 écrivit : « La première exposition [de peinture haïtienne] qui eut lieu à Paris est un événement qui a beaucoup retenu l’attention du monde ». Une seconde exposition, Art moderne de l’Equateur, d’Haïti et du Pérou, ouverte à Paris le 23 janvier 1947, sous les auspices de l’UNESCO, consacra définitivement la peinture haïtienne.

A partir de cette date, rien ne semblait devoir freiner son essor. Et les manifestations se multiplièrent en Europe et en Amérique du Nord, pendant que des collectionneurs, des amateurs, des touristes, des artistes enthousiastes commencèrent à affluer en Haïti. Quelques expositions retinrent particulièrement l’attention : celle de l’American British Art Center, Haitian Popular Painting, du 13 au 31 mai 1947 ; celle organisée au United Nations Club de Washington par la Whyte Gallery avec la collaboration de l’American British Art Center, en décembre 1947.[2]

Ce tableau que Obin avait envoyé au Centre d’Art en 1944, reste l’une des œuvres emblématiques dans l’histoire de l’art plastique haïtienne.

Philomé Obin

Philomé OBin. © Archive le Centre d’Art

Philomé Obin était déjà un artiste avant la création du Centre d’Art. Souhaitant former des élèves dans sa ville d’origine, il ouvre le 15 septembre 1945 une annexe du Centre d’art au Cap-Haïtien où, sous sa tutelle, des artistes locaux et certains membres de sa famille notamment son frère Sénèque Obin, ses fils Antoine et Télémaque Obin et son neveu Michel Obin seront formés et vont développer une pratique inspirée du maître. Parmi les autres peintres influencés par l’artiste, on peut citer Buffon Thermidor, Jean-Baptiste Bottex, Etienne Chavannes, Volvick Almonor ou encore Jean-Baptiste Jean.

Avec les artistes Castera Bazile, Préfète Duffaut, Rigaud Benoit et Wilson Bigaud, Philomé Obin participe en 1950 à la réalisation des fresques de la cathédrale Sainte-Trinité de Port-au-Prince, détruite depuis par le séisme de janvier 2010. Il y peint la Dernière Cène dans le transept Nord et une Crucifixion dans l’abside. Cette dernière montre un Jésus à la peau claire cloué sur une croix dans une rue de Cap-Haïtien.

Les sujets figuratifs de Philomé Obin illustrent la vie populaire haïtienne, des carnavals, des scènes religieuses ainsi que de nombreux évènements historiques liés à l’indépendance d’HaïtiSon style devient rapidement une référence dans la peinture haïtienne. L’artiste excelle dans les perspectives de rues, de maisons et d’intérieurs. Son sens géométrique de l’espace n’affecte pas les subtiles proportions de ses personnages. L’artiste utilise des couleurs vives et claires : des verts, du bleu ciel, des rosés et des jaunes.

Philomé Obin meurt au Cap-Haïtien en août 1986, à l’âge de 94 ans. Ses œuvres ont été exposées dans le monde entier et demeurent conservées dans d’importants musées comme le Milwaukee Art Museum dans le Wisconsin, le Brooklyn Museum et le MoMA de New York.


[1] Célius, Carlo A., Langage plastique et énonciation identitaire, L’invention de l’art haïtien, Les presses de l’Université Laval, Canada, 2007.

[2] Lerebours, Michel Philippe, Haïti et ses peintres de 1894 à 1980, Souffrances et Espoirs d’un Peuple, deux tomes publiés avec le concours de la Mission de Coopération française en Haïti, L’Imprimeur II, Port-au-Prince, Haïti, 1989.