Ainsi Iris est devenue une artiste …

Le 25 janvier 2023, la plasticienne Geneviève LAHENS ESPER a rencontré des artistes et des participants au cours de graffiti du Centre d’Art. Elle leur a raconté comment l’art lui a sauvé la vie. 

1991. Le verdict est tombé. Geneviève est diagnostiquée d’une maladie à l’œil.  Elle souffre d’une iritis. Selon l’avis du médecin, elle est provoquée par le stress. Le contexte du pays – instabilité politique, insécurité – a fait ombre sur l’architecte. La première élection démocratique en 1990 n’avait pas accouché ses promesses. Haïti était retombée dans ses travers. 

Geneviève multiplia les démarches pour combattre son anxiété. Et c’est là que survint l’art. Sous les conseils d’un ami architecte, elle se mit à peindre. « Puis au bout de deux, trois jours j’étais complètement guérie », révèle Iris, un nom gardé en reconnaissance de cette membrane, à l’œil, enflée, qui l’a propulsée au bras d’une nouvelle passion. « Ça a été ma thérapie », ajoute-t-elle.

Je venais tout le temps au Centre d’Art quand j’étais enfant. Je venais voir les artistes. Je venais voir les tableaux.

Iris

Les commodités académiques font corps avec L’architecte. Elle ne se voyait pas plasticienne sans les directives d’un guide. Elle se tourna vers une vieille et agréable connaissance, le Centre d’Art. « Je venais tout le temps au Centre d’Art quand j’étais enfant. Je venais voir les artistes. Je venais voir les tableaux », se rappelle Iris. L’intérêt, en revanche, est pour une personnalité bien particulière. La jeune artiste veut absolument travailler sous la direction d’Antonio Joseph.

Le professeur a accepté. Cependant, il comptait expérimenter une autre méthode d’enseignement lorsqu’il vit les œuvres que Geneviève a déjà réalisées. « Quand il a visité mon atelier, il m’a dit : Tu veux avoir un professeur au Centre d’Art, mais tu n’auras pas de cours. Je vais passer toutes les semaines voir ce que tu fais parce que j’ai vu dans ton travail que tu es en contact avec quelque chose. Je crains que tu désapprennes. D’autant plus, tu as développé une technique qui marche », confie la sexagénaire. 

Dans sa tête, un rêve : voir ses oeuvres exposées un jour entre les murs de cette institution de promotion de l’art haïtien et la remercier d’avoir allumé ce soleil sur son ciel. 

Comme promis, le cadre du Centre d’Art visita Iris régulièrement. À chaque rencontre, Antonio ne fit que commenter les réalisations de l’artiste en herbe, la conseilla. Il l’accompagna aussi dans d’autres expositions, discuta les œuvres des autres artistes. Il l’encouragea à lire des livres portant sur l’art. Tous les samedis, elle vient au Centre d’Art et s’immerge dans ce bouillonnement artistique, voit et rencontre les plasticiens du Centre. Dans sa tête, un rêve : voir ses oeuvres exposées un jour entre les murs de cette institution de promotion de l’art haïtien et la remercier d’avoir allumé ce soleil sur son ciel. 

Elle mit six ans à se préparer pour cet évènement. « Je me suis appliquée, je l’ai préparée en 5 ou 6 ans. C’est ce que je voulais. Je voulais faire une exposition au Centre d’Art pour le remercier de m’avoir permis de rencontrer Antonio. Donc j’ai travaillé très durement », se rappelle Iris. En 2000, elle exposa au Centre d’Art. Elle présenta une installation. « Ma première installation », précise-t-elle. Elle a réuni plusieurs médiums dont des peintures, des fers découpés, des dessins. 

Environ trente ans plus tard, c’est un artiste accompli qui converse avec les jeunes artistes du Centre d’Art. Le chemin parcouru est tout simplement extraordinaire. 

Quand les temps sont sombres, je me confine davantage dans l’art. C’est là que j’ai eu ma guérison 

Iris

La même année de son exposition au Centre d’Art, elle est sollicitée pour une exposition à New-York. « Cette affaire de l’UNIFEM (Le Fonds de développement des Nations unies pour la femme) m’a donné une grande chance », explique l’artiste.  « Je n’étais pas réellement invitée. La personne qui m’a invitée cherchait des peintres femmes. Je l’ai rencontrée par hasard. Elle m’a dit qu’elle a appris que je peignais. Elle m’a dit qu’il faut absolument que je lui donne mes travaux. C’est comme ça que j’ai envoyé mon dossier au dernier moment. Quand je suis arrivée à New-York, on ne m’avait rien dit. Et j’ai vu que c’était mon tableau qui faisait la couverture du catalogue. Et c’est ce tableau qui était derrière Kofi Annan alors qu’il prononçait son discours. C’est comme ça que j’ai rencontré un agent à New York qui m’a lancée sur la scène internationale ». 

 Iris a partagé son secret avec les jeunes artistes qui ont été présents à la discussion. « Quand les temps sont sombres, je me confine davantage dans l’art. C’est là que j’ai eu ma guérison », a-t-elle martelé. « Je vous conseille de travailler. Même si une épaisse ombre plane sur l’horizon. Continue de travailler ».