Atelier de création multimédia : La place d'Alexis, c'est toujours aux côtés des grands

© Charly Amazan

Carl Pierrecq est journaliste, critique littéraire, et écrivain haïtien. Il a fait des études en Lettres Modernes (ENS), en Histoire de l’Art et Archéologie (IERAH/ISERS). Il a participé à l’atelier de création multimédia du Centre d’Art.

Quels ont été vos apports dans la réalisation de cette installation, en tant qu’écrivain ?

Carl Pierrecq: L’installation en question est une œuvre collective. Elle accueille plusieurs médiums, comme l’écriture, le dessin, la couture, etc. Tout le monde fait ce que fait tout le monde, c’est-à-dire chaque personne qui participe à l’atelier a sa patte dans chacun des mediums. À la base, j’ai été invité par le Centre PEN-Haïti à prendre part à cette aventure comme écrivain et, de fait, j’ai écrit une lettre d’amour à Jacques Stéphen Alexis au cours de l’atelier. C’était très important pour Pascale Monnin que des lettres et des cartes postales soient présentes dans l’œuvre, comme on a pu le voir pendant la restitution.  Comme écrivain, on a discuté des œuvres de Jacques Stéphen Alexis, lu des extraits de ses différents ouvrages. On a aussi essayé de comprendre le fonds de sa pensée, son style et son engagement. Question de faire de cette installation une création artistique qui se rapproche le plus que possible de son art, sans tuer la personnalité artistique de chaque participant. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai été certes invité comme écrivain, mais au bout du compte, j’ai fini par faire autre chose aussi comme dessiner, coudre, etc. C’était une expérience humaine et artistique extraordinaire.

2)    Pourquoi avez-vous accepté de participer à cet atelier ?

C.P: J’ai accepté de participer à cet atelier parce qu’il s’agissait de l’artiste Pascale Monnin pour qui j’ai beaucoup d’admiration, mais aussi et surtout parce que c’est l’une des activités du Centre d’art. Et puis, c’était quand même un hommage à l’écrivain Jacques Stéphen Alexis. On ne rate pas ces choses-là. On ne rate pas une artiste comme Pascale. On ne rate pas un lieu comme le Centre d’art. Je crois qu’un homme ne doit jamais rater l’occasion de célébrer un autre homme, un grand homme. C’est d’autant plus vrai parce que faire le métier de l’homme, c’est tellement difficile. Un homme ne doit jamais rater l’occasion de célébrer l’art, qu’il soit fait par un homme ou par une femme. Je crois que la participation qui est la mienne est motivée aussi par une forme de curiosité. Je voulais voir ce qu’on pouvait dire ou faire, aujourd’hui encore, à partir de Jacques Stéphen Alexis. Vous savez, ma joie était grande lorsque j’ai remarqué, au cours de la restitution, la présence de l’artiste Kébert Bastien (Kèb) qui a fait tout un album pour honorer la mémoire de Jacques Stéphen Alexis. C’était une belle énergie, cette restitution. 

3)    Que représente pour vous Jacques Stéphen Alexis ?

C.P: Jacques Stéphen Alexis représente pour moi l’un des plus grands génies de la littérature Haïtienne. Ce n’est pas du tout original ce que je viens de dire, puisque tout le monde le dit.

Il y a deux années de ça, en 2021, un ami sénégalais, l’écrivain Khalil Diallo, lisait et relisait encore et encore Compère Général Soleil. Il m’a dit que dans son panthéon littéraire, il met Jacques Stéphen Alexis au même endroit qu’Albert Camus, de Pavese. Je connais d’autres écrivains qui mettent Alexis aux côtés de Gabriel Garcia Marquez, de Stefan Sweig. La place d’Alexis, c’est toujours et toujours aux côtés des grands. 

4)    Qu’avez-vous appris de cette expérience ? de Pascale Monnin ?

C.P: Au cours de l’atelier, j’ai découvert plusieurs personnalités artistiques. Certains écrivains ou comédiens ont pris goût au dessin et souhaitent continuer à dessiner et inversement. J’ai pas mal appris des autres. Souvent, on minimise l’envie des jeunes créateurs à faire œuvre commune. Pendant l’atelier, tout le monde était vachement impliqué et on pouvait voir des étoiles dans les yeux de chaque participant.e lorsque l’installation se prononçait de jour en jour. Au commencement, c’était le grand flou dans notre tête ; et sur la fin, c’était une création magnifique qu’on a accouchée. Enfin, j’ai appris de cette expérience que l’on pouvait rêver ensemble. 

De Pascale Monnin, j’ai appris un grand amour pour le pays, pour l’art et une belle humanité.  J’ai eu deux fois l’occasion d’écrire sur son œuvre artistique. En 2015, j’avais fait un texte critique sur l’une de ses expositions au Carré Zemès autour du thème : « Enfances et autres bazars ». Ce jour-là, il y avait une belle installation titrée : « Une brève histoire de riz ». Pascale est une artiste qui surprend. J’aimais bien le mot « bazar » associé à l’Expo. C’est le mot le plus utilisé par l’un des chanteurs que j’aime le plus. Il s’agit du belge, Arno, qui est décédé il y a pas longtemps. En 2017, une belle Expo d’art contemporain était organisée à la résidence de l’ambassade des États-Unis, à Bourdon.  J’avais écrit entre autres sur l’une des installations de Pascale Monnin.

Curieusement, je me suis rendu compte que ma déclaration d’amour à l’égard d’Alexis est tout aussi valable, dans une certaine mesure, à l’artiste pluridisciplinaire Pascale Monnin. C’est une personnalité artistique que j’aime énormément. Chez l’un de mes amis écrivains, Ervenshy Hugo Jean-Louis, il y a un livre exposé : « La petite fleur de Guernica », de Pascale Monnin et de James Noël, paru chez Vents d’ailleurs. C’est exactement ce que représente Pascale Monnin pour moi. Elle est comme la petite fleur de Guernica dans ce grand désastre que représente le monde. Sa conversation avec Allenby Augustin, le jour de la restitution, nous donne une idée de son amour pour le pays et cela nous donne espoir. C’est une artiste qui croit dans cette utopie qu’Haïti peut toujours influencer positivement le monde. Comme Préfète Duffaut, elle imagine une Haïti où les gens ne partent pas, mais accueillent et reçoivent ce qui viennent d’ailleurs.

5)    Quelle est, selon vous, la pertinence d’une telle initiative ?

C.P: L’art, peu importe sa forme, demeurera la chose la plus pertinente à mes yeux. Je crois que l’hommage fait à un homme concerne tous les hommes, parce que nous sommes tous traversés par les mêmes folies, les mêmes démons et la même humanité. Nous avons un commun destin qui nous lie. C’est toujours intéressant de rencontrer d’autres personnes autour d’une idée, d’un projet commun. 

Au bout du compte, j’ai la sensation que la chose devient moins pertinente lorsqu’on cherche sa pertinence à travers des horizons assez lointains, et pourtant sa pertinence brille de mille feux sous nos yeux. On parle ici d’un hommage à l’un des écrivains les plus importants de la littérature haïtienne, d’une des meilleures artistes de l’art haïtien et du plus grand espace de valorisation de l’art Haïtien. Une telle initiative n’est pas seulement pertinente, mais elle est vitale, essentielle, pour le symbolisme même de ce pays.

6)    Que pensez-vous du Centre d’Art ?

C.P: Le Centre d’art se passe de présentation. Dire aux gens ce qu’ils pensent du Centre d’art, c’est comme demander à quelqu’un : quelle est la couleur du ciel bleu ? Je le dis, en riant, parce que le Centre d’art c’est vraiment le Centre de l’art. C’est, en effet, l’espace par excellence qui a propulsé l’Art Haïtien. Ce sont des centaines d’ateliers de formation et de création, de multiples expositions ici et ailleurs, des milliers documents d’archives (une référence pour la Caraïbe), la plus grande collection publique permanente de l’Art Haïtien. Le Centre d’art, ce sont des conférences, des résidences, des bourses artistiques, des milliers d’événements culturels. Alors, vous me demandez ce que je pense de toute cette richesse ? Eh bien, moi, je vous dis que c’est tout simplement extraordinaire.  

Le Centre d’art est l’un des lieux qui nous montrent qu’Haïti est loin de perdre la face. Tant qu’il y aura des espaces comme ça, encore en Haïti, on peut rêver et l’utopie du changement dont parle Pascale Monnin est encore possible. 

A propos de Carl Pierrecq

Carl Pierrecq est journaliste, critique littéraire, critique d’art et écrivain haïtien. Il a fait des études en Lettres Modernes (ENS*), en Histoire de l’Art et Archéologie (IERAH/ISERSS**) et en Sciences Juridiques (EDSEG***). 

À 20 ans, j’ai publié dans Le Nouvelliste, et plus tard Le National (NDR : les 2 seuls quotidiens nationaux), des chapitres d’un essai que j’avais consacré à Frankétienne sous le titre « Frankétienne, corps sans repères ». À 22 ans, j’ai partagé sur le plateau de Café Philo Haïti une tranche importante d’un essai consacré à l’Art contemporain Haïtien « Haïti : esthétique de la mort » où il est question de la mise en scène des restes humains dans l’art contemporain Haïtien. En matière de littérature, je fais partie de l’Ægitna Literary Agency, une agence française qui fait présentement la promotion de mon premier roman. Quant à mon actualité, je suis sélectionné pour participer aux 9ème  jeux de la Francophonie, qui se tiendront à Kinshasa (Congo), en juillet-août 2023. Je vais représenter Haïti dans la catégorie Littérature. 

Moi, j’aime beaucoup Jacques Stéphen Alexis et ma lettre témoigne bien de cet amour.

« Cher Jacques Stéphen Alexis,

Je t’écris pour te dire que je t’aime. 

Alors, pourquoi, te demandes-tu ?

Je t’aime pour plusieurs raisons, vois-tu ?

Il est rare d’aimer quelqu’un d’un grand amour pour une seule raison.

Je t’aime pour ton nom.

Je t’aime pour ton œuvre.

Je t’aime pour chaque fleuve qui coule dans l’Haïti qui t’a vu naître.

Je t’aime pour ton élégance sans commune mesure.

Je t’aime pour ta colère de chien atteint de rage.

Je t’aime pour ta force de vivre.

Je t’aime pour ton courage d’aimer.

Je t’aime, vois-tu, pour toutes ces raisons et pour d’autres encore.

Je t’aime pour ton héritage inépuisable.

Je t’aime pour ta culture sans bornes.

Je t’aime pour la peinture et la littérature.

Je t’aime pour les sciences et les arts.

Je t’aime pour la magie et toutes les choses occultes du monde.

Je t’aime pour ton sacrifice.

Je t’aime pour ton engagement, ton enragement. 

Je t’aime pour le mystère et tous les abîmes profonds qui hantent le cœur des hommes.

Je t’aime pour les éléments interstellaires qui nous habitent et traversent nos songes.

Je t’aime pour les fonds marins, les horreurs d’argile.

Je t’aime pour les fleurs et les oiseaux qui peuplent la terre de mille éclats de rire. 

Vois-tu, cher Jacques, l’amour devrait être le mot le plus long du dictionnaire de la vie.

C’est le mot le plus beau, le plus vivant, le plus fertile, le plus frais et le plus vrai.

Tu as tant cherché l’amour avec la pureté au cœur.

Tu l’as cherché, tu l’as trouvé et tu nous l’as donné en partage dans chacune de tes phrases, dans chacun de tes actes.

Moi, je t’aime, Jacques, parce que ton passage fut un privilège sans nom, beau, indicible.Tu sais Jacques, tes pas sur le sol de nos vies ont laissé des traces indélébiles sans fin de parcours ».