Chilou Jean, reprendre espoir et affronter sa peur

Chilou Jean peignant dans son atelier. © Charly Amazan

Peintre et dessinateur, Chilou Jean a dû quitter Fort National en raison de l’insécurité. Submergé par l’angoisse, il a longtemps cherché à fuir son malaise intérieur. Sa participation au projet Ann Kwape Vyolans ak Lakilti lui a permis de retrouver confiance, de transformer ses peurs en création, et de renouer avec l’espoir.

Jusqu’à Pacot, on entend résonner les rafales d’armes automatiques. Lorsque Chilou assiste aux premières séances de tables rondes avec les psychologues, début mars, son esprit est ailleurs. Il reconnaît être là davantage par commodité que par réelle motivation :

« Le sifflement des balles réveillait en moi de vieux souvenirs », confie-t-il.

Chilou vivait à Fort National, un quartier perché sur les hauteurs à l’est du centre-ville, passé sous le contrôle d’hommes armés depuis la fin de l’année 2024. Pendant des mois, il a vécu au rythme des échanges de tirs entre forces de l’ordre et groupes armés.

Face à la montée de l’insécurité, les ateliers initialement prévus à Pacot ont été relocalisés au Centre culturel Brésil, à Pétion-Ville. C’est là que Chilou a commencé à se connecter à l’espace, aux ateliers et à lui-même :

« J’ai été plus attentif. Je me suis davantage impliqué. J’ai réagi aux méthodes de la psychologue. Je me suis ouvert, comme elle l’avait demandé. Et j’ai enfin pu parler de cette peur qui me rongeait depuis la fin de l’année dernière. »

Il a quitté Fort National en octobre 2024 pour s’installer à Laboule 12, chez un membre de sa famille. Un changement brutal, qui a profondément bouleversé son quotidien et provoqué en lui une psychose de peur difficile à surmonter.

À son arrivée, il raconte avoir eu l’impression d’être constamment surveillé.

« Les gens me guettaient, observaient mes moindres faits et gestes. Pour sortir, il me fallait absolument ma carte d’identité, alors que dans mon quartier, je n’avais ce genre de contrainte que lorsque je devais régler une affaire particulière », confie-t-il.

« Je vivais seul dans la maison. Par moments, j’avais l’impression qu’elle allait m’engloutir, qu’elle devenait un monstre. Alors souvent, je me noyais dans l’alcool et je m’enfuyais retrouver des amis. »

Chilou aborde ouvertement sa dépendance à l’alcool, qu’il utilisait comme refuge pour affronter la peur et supporter le poids du bouleversement. Ce qui, au départ, n’était qu’un geste occasionnel est rapidement devenu une habitude envahissante, presque un automatisme. Il buvait à longueur de journée, conscient qu’il s’engageait sur une voie dangereuse, qu’il ne maîtrisait plus.

« Je savais que je me détruisais, mais je ne voyais pas d’autre issue », avoue-t-il.

Dans l’atelier animé par Jacqueline Baussan, le peintre dit avoir trouvé des outils concrets pour affronter sa peur : apprendre à s’adapter à sa nouvelle réalité et à s’ouvrir aux autres.

« Elle nous a encouragés à affronter nos problèmes en faisant ce que nous aimons le plus : créer », raconte-t-il.

Elle leur a aussi appris à reconnaître les signes avant-coureurs de l’angoisse, à respirer profondément pour ralentir le rythme cardiaque, à utiliser des gestes simples pour se recentrer.

« Elle nous a montré comment nous ancrer dans le moment présent, en nous concentrant sur des sensations précises ou des objets familiers, quand la peur monte trop fort », explique Chilou.

Ce qui l’a le plus aidé, c’est le dessin.

« Elle m’a poussé à mettre mes émotions sur papier, à dessiner ce que je ressens au lieu de le fuir. Quand je dessine ma peur, elle devient plus supportable. Je la vois, je la comprends, et je peux la transformer », confie-t-il.

Petit à petit, Chilou a compris qu’il pouvait se libérer autrement que dans l’alcool.

« Avant, je buvais pour oublier. Aujourd’hui, je dessine pour comprendre. Ce n’est pas facile tous les jours, mais maintenant j’ai des outils. Et surtout, je sais que je ne suis pas seul. »

Comme les autres artistes participant au projet Ann Kwape Vyolans ak Lakilti, Chilou bénéficie d’un accompagnement financier pour soutenir sa création. Ce coup de pouce lui permet de se consacrer davantage à l’art, avec plus de sérénité. Il a déjà entamé une nouvelle série d’œuvres.

« Plus que le pinceau et le support »

Chilou confie avoir fait une découverte qui pourrait transformer sa carrière artistique. Lors des ateliers de professionnalisation, notamment dans le module Réseaux et opportunités professionnelles animé par Allenby Augustin, il a compris qu’un artiste contemporain ne se résume pas à « son pinceau ni à son support » : il incarne une « marque personnelle » qu’il doit apprendre à construire et à entretenir.

Chilou Jean finalise un tableau créé dans le cadre du projet Ann Kwape Vyolans ak Lakilti. © Charly Amazan

Depuis, il affirme avoir constitué une petite équipe composée d’amis, en Haïti et à l’étranger, pour l’aider à soigner son identité numérique, organiser sa présence en ligne et valoriser son travail. Une étape décisive pour renforcer sa visibilité et donner une nouvelle orientation à sa pratique artistique.

« J’ai été sensibilisé au fait que nous, artistes haïtiens, surtout dans ce contexte particulier, devons repenser nos approches pour nous connecter au monde. Les lieux de promotion artistique sont pour la plupart fermés, donc il devient essentiel d’exister virtuellement pour entrer en relation avec les autres et faire connaître notre art. »

Lancé en février 2025 par le Centre d’Art, en partenariat avec l’OEA en Haïti, la PADF et avec le soutien du gouvernement du Canada, le projet Ann Kwape Vyolans avèk Lakilti vise à soutenir les artistes affectés par l’insécurité. Après une première phase d’enquête sur la situation des créateurs, le projet a enchaîné avec des ateliers de professionnalisation destinés à une vingtaine d’artistes issus de quartiers vulnérables, ainsi que des espaces de dialogue communautaire autour de la paix, animés par des psychologues.

Ces activités ont permis aux participants de renforcer leurs compétences, d’exprimer leurs traumatismes et de s’outiller pour mieux affronter la réalité. La prochaine étape consiste en des résidences de création, qui aboutiront à une exposition publique le 9 août 2025.