Ciné d’art : une reprise à toute épreuve

Les conjonctures du pays n’ont pas déroulé de tapis rouge à la reprise du Ciné d’art. Elle a dû s’adapter, parfois oser pour s’imposer, en comptant sur un public fidèle prêt à tout affronter.

© Wedster Lyvert

La pluie intermittente du samedi 14 janvier qui a étreint les cieux de Port-au-Prince en début d’après-midi n’a pas eu raison de la reprise du Ciné d’Art. Le public l’a affrontée pour assister à la première projection du Centre d’Art depuis décembre 2021.

Une petite pluie se déverse. Elle caresse l’atmosphère, l’air morose depuis le début de la matinée. La pluie bouscule l’agenda des organisateurs. Il est 2 heures 10 PM. La projection devait commencer un peu plus de 10 minutes plus tôt. « On n’a pas besoin d’attendre encore plus, je crois. On n’aura pas un public plus conséquent que celui-ci », lance Mario Benjamin en coulisse, l’air pessimiste. « Si gen yon bagay Ayisyen plis pè pase bal, se lapli », ajoute un jeune homme qui vient pour voir le film. 

Les eaux continuent de tomber des nuages, mais plus abondement.  Étonnamment, les cinéphiles remplissent progressivement l’Anba tonèl, le lieu où sera projeté le film. 2 h 35 PM, le Directeur exécutif du Centre d’Art donne le coup d’envoi. « Nous sommes heureux de vous voir aussi nombreux malgré ce temps menaçant, se réjouit Allenby Augustin. Nous vous remercions de venir voir ce beau film sur Mario Benjamin », martèle-t-il.

Je n’ai jamais pu saisir cette transition. J’ai pu l’apprécier à partir de ce documentaire.

Une étudiante en histoire de l’art

Ce documentaire de 53 minutes d’Irène Lichtenstein met en scène la carrière de Mario Benjamin : ses débuts avec sa technique d’hyperréalisme à l’art contemporain. La première technique a propulsé le plasticien vers le succès. Sa rupture avec l’hyperréalisme, n’a pas eu, surtout au début, un écho favorable chez ses admirateurs. Elle lui a même attiré la foudre de quelques-uns.  « Je n’ai jamais pu saisir cette transition », avoue cette étudiante en histoire de l’art. « J’ai pu l’apprécier à partir de ce documentaire », témoigne-t-elle. « Je faisais partie de ceux qui accusaient Mario comme un artiste qui déraillait avec sa nouvelle technique. Sincèrement, je préfère ses premiers tableaux, mais je pense avoir compris sa transition, et je le respecte. Je ne vais plus le traiter de fou », confie Marvens, souriant. 

Cette histoire de folie m’a porté préjudice 

Mario Benjamin

Dans une causerie réalisée en marge de la projection, Mario n’hésite pas à aborder le sujet. Il explique son choix. « Je m’ennuyais avec l’hyperréalisme », se lâche Mario. « J’ai essayé de faire une autre chose à laquelle je prends plaisir », énonce-t-il. « On a toujours pensé que j’étais fou, alors que je ne l’étais pas. On me traite de fou alors que je suis celui de ma famille qui a le plus de succès dans le monde. Cette histoire de folie m’a porté préjudice », regrette le plasticien. Il précise apprécier le terme illumination plutôt que folie. « Elle est devenue trop péjorative, donnant court à n’importe quoi ». 

Le psychologue Wesly François, intervenant lui aussi dans la causerie, tente d’expliquer le thème ‘’folie’’ et de le placer dans un contexte disciplinaire.  « Dans le contexte de la création artistique de Mario Benjamin, selon mon interprétation de la folie, elle est une rupture. Le fou, c’est celui qui prend ses distances à la réalité », détaille le professeur en psychologie de l’art. 

La causerie a été animée par Godson Antoine, animateur principal du Ciné d’art. 

Le Ciné d’art signe son retour

Le Ciné d’art a repris ses droits au Centre d’Art. Le Centre l’a lancé en 2021 dans l’objectif de diffuser des films d’art afin d’aider son public à mieux connaître, comprendre et apprécier les différents travaux des artistes, les différentes esthétiques d’art qui ont marqué l’histoire de l’art haïtien, l’art caribéen et celle des autres peuples du monde entier. 

Les troubles socio-politiques ont empêché sa reprise en 2022. L’équipe du Centre d’Art a voulu, dès le début de l’année, reprendre l’initiative. Après la première projection s’en est suivie une deuxième qui a pourtant été menacée par les récentes turbulences enregistrées dans le pays. 

En effet, le deuxième numéro du Ciné d’art était prévu pour le samedi 28 janvier 2023 avec la projection du film  » La vision du vaincu » des réalisateurs Laure Martin Hernandez et Vianney Sotès. Les mouvements de protestations déclenchées notamment dans la capitale laissaient planer des doutes sur sa tenue. Mais l’apaisement survenu en fin de semaine, a inspiré de l’espoir, et le calme du samedi a donné le feu vert. Un public nombreux a assisté à la projection, participé à une causerie riche avec l’historien de l’art Sterlin Ulysse et l’animateur du Ciné d’Art Godson Antoine.