Dubréus Lhérisson et son art habité du vaudou

L’enfant de 10 ans, qui a laissé la Grande-Rivière du Nord pour s’installer à Port-au-Prince, est un vodouisant. C’est le vaudou qui l’a poussé dans les bras de l’art et non l’inverse, a souligné Dubréus Lhérisson, l’un des maîtres de la récupération et de l’assemblage, mercredi 21 juin 2023, à l’occasion de la journée de conversation avec les artistes du Centre d’Art.

En 1981, Dubréus Lhérisson quitte la Grande-Rivière du Nord et rejoint sa mère à Port-au-Prince. Ils s’installent à Bel-Air, banlieue qui domine la baie de Port-au-Prince. Dans son nouvel environnement, l’enfant de 10 ans retrouve l’univers confessionnel de sa ville natale. À Bel-Air, il y a une forte concentration de temples vaudou. Dans ces lieux Dubréus, n’a pas seulement renoué avec ces rituels, il a aussi rencontré l’art. « Dans ces temples, presque tous les pratiquants sont des artistes : ceux qui font les statues, ceux qui tracent les ‘vèvè’, ceux qui confectionnent les drapeaux », explique Dubréus Lhérisson.

Le petit garçon manifeste une étrange curiosité pour la création de ces objets. Une curiosité qui le porte à côtoyer les ateliers. « Dans l’un des lakou que je fréquentais, j’ai rencontré le hougan Ti Bout (Céus St Louis). Il avait un atelier où il cousait des drapeaux vaudou. Voyant ma curiosité, Il m’a encouragé à observer avant de me conseiller de prendre les aiguilles », se souvient le plasticien, qui lui voue une sincère reconnaissance. 

L’enfant de 12 ans réalise des débuts remarquables. Ses drapeaux figurent parmi les plus prisés de l’atelier. Bien que sa rémunération soit loin d’être proportionnelle à l’énergie, le temps et la passion avec lesquels il les coud, Dubréus, n’en démord pas. « Prosper Saint Louis, le fils de Ti Bout était toujours rémunéré pour ses travaux. Je recevais une infirme partie de ce qu’il percevait. Mais les satisfactions que j’en tirais et les encouragements des clients me poussaient à poursuivre », confie-t-il. 

Il remplace valablement Prosper, mort subitement en 1991. Il était le seul à dessiner les tracés sur les costumes dans l’atelier. Le départ prématuré du fils de son mentor n’a pas attendu qu’un autre titulaire soit formé pour le suppléer. Dubréus se propose de le remplacer. Le plasticien a peu de temps pour convaincre. Il doit associer promptitude et qualité. Après quelques mois, « J’étais devenu la référence dans le dessin des costumes de rara », se rappelle Dubréus. 

Trois ans plus tard, Ti Bout suit sont fils dans l’au-delà. Malgré les accompagnements promis à la femme de ce dernier, elle ne veut plus que l’atelier fonctionne. Les artistes se trouvent dans la rue. Dubréus aussi. « C’était une période difficile », raconte-t-il. On ne savait pas vers qui se retourner. »  

L’artiste refuse de s’abattre sur son sort. Il investit ses faibles moyens dans la fabrication de drapeaux qu’il tente de vendre comme des œuvres de son mentor. Un collectionneur les achète, mais lui recommande de ne plus recommencer. « Il m’a dit que Ti Bout est mort. Il ne faut pas créer en son nom. Il m’a conseillé de chercher mon identité, que j’avais le talent pour réussir ». 

Dubréus monte son propre atelier avant le début des années 2000. Il continue à confectionner des drapeaux vaudou pendant qu’il essaie d’autres techniques parallèlement. Il se verse dans la récupération et l’assemblage. Il propose le tableau bourré qu’il réalise avec des paillettes, du coton, et de perlages, rehaussés de miroirs, de boutons, de bandes électriques et de coquillages. « Je réalisais surtout des divinités du panthéon vaudou comme Saint Jacques Majeur, La Sirène. Je me rappelle avoir vendu le premier modèle à l’hôtel Oloffson. Je l’ai vendu à un Haïtien qui vivait dans la diaspora. C’est lui qui l’a popularisé, en le proposant dans sa communauté. J’ai eu ensuite une pluie de commandes ». 

Le plasticien propose aussi deux autres pièces : le personnage ‘Bizango’ et les têtes de mort. Le ‘Bizango’ est confectionné avec une poupée comme matière principale. Des poupées qu’il achète dans les pèpè (fripes). Il les recouvre de toiles montées de paillettes et de perlages, de miroirs ou d’autres pièces qu’il a récupérées, alors que les têtes de mort sont créées avec de vrais crânes de morts récupérés dans des cimetières, ou des crânes faits avec du bois qu’il recouvre de toiles, de miroirs, de paillettes, de perlages, etc.

Sa première exposition collective à l’international remonte à 2011, à Little Haïti Cultural Center à Miami, sous le commissariat d’Edouard Duval-Carrié et de Mireille Gonzales. On le revoit encore en 2012, à Cuba, à la 11e Biennale d’art contemporain de La Havane, « Ayiti a la casa ».

En 2015, sur l’invitation de Pascale Monnin à l’exposition « Lumière des ombres », Dubréus Lhérisson entre au Centre d’Art.

De nos jours, on retrouve les œuvres de Dubréus Lhérisson dans beaucoup de collections privées d’art haïtien. Il expose en permanence à son atelier Kongo Lawouze au Bel-Air, et à l’hôtel Best Western à Pétion Ville.

Dubréus Lhérisson vit et travaille en Haïti.