Février Gertrude-Hugh : Jacques Stéphen Alexis, une humanité détruite par un ogre avare
Février Gertrude-Hugh est poète, écrivain, performeur et metteur en scène. Il a participé à l’atelier de création multimédia en hommage à Jacques Stéphen Alexis. Il nous a parlé de cette expérience, de Jacques Stéphen Alexis et de Pascale Monnin.
Le Centre d’Art : Quels ont été vos apports dans la réalisation de cette installation, en tant qu’écrivain?
Février Gertrude-Hugh : Je suis écrivain, poète, performeur et metteur en scène. Pour la réalisation de cette installation, j’ai créé 5 œuvres en atelier. J’ai dessiné ou du moins tenté de dessiner des portraits de Jacques S. Alexis, des sirènes. Le dessin ce n’est vraiment pas mon fort (rire). J’ai écrit une lettre à Jacques et je lui ai aussi envoyé une carte postale au Fort d’Oubli. J’ai pris beaucoup de plaisir à mettre mes mots et mes dessins d’enfants dans cette installation, et c’est un honneur pour moi d’avoir eu la chance de participer à ça. A cette immensité en hommage à cet homme qu’était Jacques Stephen Alexis.
CDA : Pourquoi avez-vous accepté de participer à cet atelier ?
F.G-H : C’était Pascale Monnin (rires) et tout ce qu’elle représente en tant qu’artiste et humaniste. Quel artiste haïtien, qui se respecte, refuserait cette possibilité de travailler avec elle ? J’ai tout de suite accepté. Et en plus, on allait travailler pour rendre hommage à un grand homme. Toutes les conditions étaient réunies pour que j’accepte.
J’ai surtout accepté parce que c’était un honneur pour moi de pouvoir travailler avec d’autres artistes d’horizons différents et pleins de talents, sur un projet pareil. C’est-à-dire créer ensemble une œuvre collective en mettant chacun sa petite touche pour honorer Alexis.
CDA : Que représente pour vous Jacques Stéphen Alexis ?
F.G-H : Le saint patron des écrivains haïtiens. Une humanité détruite par un ogre avare. Jacques S. Alexis est cet écrivain qu’on ne peut pas se permettre de ne pas lire et de ne pas aimer. C’est ce Pierre Roumel qui croit dur comme fer que le destin de l’homme haïtien est dans le vivre ensemble, dans l’entente populaire. C’est aussi Hilarion qui regrette de ne pas rester combattre dans l’armée du Général Soleil. Jacques est pour moi un modèle d’artiste et pour ses positions politiques, son engagement d’homme et pour ses propositions esthétiques.
CDA : Qu’avez-vous appris de cette expérience ? de Pascale Monnin ?
F.G-H : Beaucoup. Être artiste, créer est surtout un acte de patience et de foi, pas seulement en toi mais aussi dans l’œuvre. L’œuvre possède une logique qui lui est intrinsèque. Il faut l’écouter. Apprendre à écouter. Et puis après, il faut toujours se rappeler que l’on doit rester humble. Être artiste est aussi une prise de position dans sa parole, dans ses œuvres et même dans son silence.CDA : Quelle est, selon vous, la pertinence d’une telle initiative ?
F.G-H : Ça permet de réunir les artistes du pays, venant de médiums différents, sur un même projet. Ce qui n’arrive pas souvent. C’est aussi une possibilité d’apprendre des autres, de ses contemporains et des artistes plus grands, plus expérimentés comme Pascale.
CDA : Que pensez-vous du Centre d’Art ?
F.G-H : C’est un lieu de recherche et de création. Un lieu de savoir, de rencontre. Un foyer d’art. Il fait partie des quelques lieux encore ouverts dans le pays permettant aux artistes de se rencontrer, de travailler et de s’améliorer.
Fevrier Gertrude-Hugh EST poète, écrivain, performeur et metteur en scène. Il fait une maîtrise en littérature et transculturalité à l’Ecole Normale Supérieure de l’Université d’Haïti. Il codirige un laboratoire de performance en Haïti, Opaque-Voisin Lab, avec mon ami Kav-Alye Pierre, et est membre d’une Compagnie de performance, Cie Hors-Temps et de deux collectifs, Collectif Acacia Bleu et Collectif des auteur.e.s dramatiques haitien.ne.s.
La lettre de Février Gertrude-Hugh à Jacques Stéphen Alexis
Port-au-Prince, le 17-02-2023
Mon cher Jacques,
Nommer ton nom est une fête. Ton nom est un soleil. Jacques Soleil. Pour l’année de la belle amour humaine, l’année de tes 100 ans, on a entendu ton beau nom soleil dans la bouche des ministres, des universitaires sur tous les tons possibles. Leurs gestes mentaient, leurs paroles ont manqué de respect à ton engagement d’homme. A chaque fois qu’ils disaient ton nom et parlaient de ton héritage, ça sonnait faux, comme un mensonge à révolter les dieux.
Personne n’a vu venir la nuit.
Quand le monstre rose est apparu, on parlait de fête, de carnaval, d’année de joie. Il était question d’inventer de nos ruines un pays chanson. Mais c’était un beau mensonge pour cacher la plaie venue ravager les saisons.
Ce pays est un grand champ de mines. Dans chaque rire résonne le nom d’un naufragé. Alors pour supporter la vie, nous parlons de toi et d’autres sacrifiés en vous qualifiant de soleil. Vous, les oubliés de la même chute.
Toi qui es dans la lumière et dans la vérité, dis-nous combien de printemps il nous faudra pour chasser la nuit ?
Jacques, à chaque aube qui naît, nos paroles ne suffisent plus à peindre l’effondrement des sentiments. Le ciel et la mer nous ont tout pris. Et malgré tout, nous aimons sans cesse. Dans la souffrance, dans la douleur, dans chaque geste. Ce pays est le nôtre. Alors Jacques, patience. Si tu reçois cette carte, saches qu’un beau jour, la mer recrachera nos arcs-en-ciel, et il sera printemps à chaque poignée de main qui criera liberté.
Février Gertrude-Hugh