Hervé Télémaque, Haïtien malgré tout

Quand Télémaque quitte Haïti la même année de l’arrivée au pouvoir de François Duvalier (le 22 octobre 1957), il ne pensait pas y remettre les pieds, jusqu’en 1973 pour venir voir sa mère. Cette mère qui, confie-t-il dans le film « Télémaque l’Affranchi », lui a donné une éducation purement haïtienne, qui l’a aussi préparé à toute éventualité de départ. Un peu moins, pourrait-on dire, car sa rencontre avec le racisme dans sa terre d’accueil va vite le désenchanter, au point que nait en lui une brulante aversion. « Je suis arrivé à New York en 1957.  Trouver un atelier était mon obsession. C’était la chose la plus difficile, non pas que ça coutait trop cher à l’époque. Les taudis se louaient facilement sauf pour les Noirs », raconte-t-il. « A New York, je découvre le racisme. La force du racisme. Les Noirs ne pouvaient pas boire l’eau de la même fontaine que les Blancs et inversement. Mais par contre, les écoulements se rejoignent, ce qui est une ironie technique », ironise-t-il. 

Ce ressentiment, Télémaque le transporte dans ses premières toiles pop. « Elles étaient imbibées de colère contre les Etats-Unis. Je suis pro-castriste. Je suis furieux de tout ce qu’on raconte sur lui dans le New York Times tous les jours. J’ai fait tout ça à Paris et pas à New York », précise-t-il.

L’expérience New-yorkaise n’était pas totalement néfaste. Il passe ses trois premières années à l’Art Students League où il rencontre Arshile Gorky. « J’ai été très impressionné par Gorky. Son œuvre me donnait une certain sentiment de totalité. Je la trouvais très riche, très complexe », raconte-t-il. 

En 1961, il part pour la France. Paris est très différente de New York, observe Hervé. « Pour moi, Paris a été une magnifique terre d’accueil. Je retrouve la langue française et surtout une générosité d’accueil que je n’avais pas à New York », mentionne-t-il. Il y rencontre Bernard Rancillac et Alain Joufois, des rencontres qui favorisent la fondation du courant artistique « La Figuration narrative ». 

Le plasticien franco-haïtien a répondu à l’une des questions centrales pour laquelle il a été choisi comme personnage principal du documentaire. Comment devient-on artiste ? La réponse de Télémaque a été plutôt personnelle. « Il faut être un bon cancre », répond-il sans détour. « Dans mon cas Je viens d’une famille très éduquée par rapport au niveau haïtien moyen ; en même temps j’ai été le parfait cancre pendant toute mon enfance. J’ai fréquenté les grandes écoles : Saint Louis de Gonzague, école Desroches. Mais j’ai été un cancre vraiment de haut niveau. C’est un bon bagage pour ensuite devenir un artiste. Il y a une accumulation d’échecs ou de frustrations qui au fond fabrique un bon artiste. Un artiste au fond va faire du rattrapage. C’est ça être un bon artiste, c’est rattraper le ratage », estime-t-il. 

Télémaque et Haïti

Hervé Télémaque aborde avec François Lévy-Kuentz ses origines haïtiennes. Il est né à Port-au-Prince le 5 novembre 1937 dans une famille aisée, lettrée et métisse dont il s’est toujours revendiqué. « Je suis très fier de mes origines métisses, contrairement à la tradition haïtienne qui n’est pas du tout une chose bien vue dans un pays de noirs où soi-disant l’identité première est nègre », précise-t-il, affirmant par ailleurs se sentir « autant nègre qu’Européen, Haïtien que français, un peu américain. Car j’ai attrapé certaines choses de cette culture anglo-saxonne, apparemment loin de moi », ajoute-t-il. 

Bien que loin de son d’origine, son amour pour Haïti jubile dans ses œuvres. Le très populaire « Mesdames et Messieurs ! Attachez vos ceintures ! », est une photo du paysage de la baie de Port-au-Prince. 

Cependant, il ne nourrit plus d’espoir de voir le changement germer dans sa patrie. « Ma désespérance en Haïti est telle que je ne pense plus aller prendre une formation militaire à la Havane pour changer les choses à Port-au-Prince. L’état de corruption du monde est pour moi une chose très forte, très puissante, et mon petit pays n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette monstruosité morale », regrette-t-il.