Séminaire en critique : le Centre d'Art a reçu une martiniquaise 

crédit photo: Africa Radio

Le Centre d’Art a lancé son séminaire en critique d’art le jeudi 31 mars 2022. animé par Dra. Yolanda Wood, ce séminaire avait pour ambition de former des professionnels capables de produire des réflexions critiques sur les œuvres d’art et les travaux de commissariat d’exposition, une carence en Haïti et dans la région caribéenne. Parmi les participants, majoritairement haïtiens, le Centre d’Art a été heureux d’accueillir Nadine Priam, martiniquaise, journaliste et spécialiste dans les problématiques de patrimonialisation des productions artistiques en Caraïbe, CEO de TraysKreyol.

Le Centre d’Art s’est entretenu avec elle en marge de la formation. 

Centre d’Art : Pourquoi avez-vous choisi de participer à un tel séminaire ?

Nadine Priam : Cette proposition m’a semblé intéressante à double titre. D’abord en raison de l’institution qui l’avait proposée. Le Centre D’Art de Port-au-Prince est une référence solide. Ensuite parce que la démarche m’a semblé innovante, audacieuse et si pertinente ! J’ai en effet noté que trop souvent les textes de critiques voire de commissariat comportaient des lacunes y compris les miens. Cela s’explique par un manque relatif d’ateliers de travail de ce type mais aussi pour être franche le sentiment qu’il s’agit d’une chasse gardée.

Pour ma part, je suis journaliste. J’ai souvent eu à couvrir des expositions. Je me suis spécialisée récemment dans le milieu artistique en particulier sur les questions de patrimonialisation des œuvres et des artistes ainsi que sur le second marché de l’art caribéen (les opérations de ventes aux enchères). Une vraie problématique qui mérite qu’on s’y intéresse. C’est donc animée de curiosité, d’envie d’apprendre, de me frotter à cet exercice de façon professionnelle que je me suis inscrite à ce séminaire.

CDA : Vous avez appris quoi de pertinent à ce séminaire ?

NP : ( sourire). J’étais assez préoccupée par les questions de méthodologie. J’ai eu un peu le syndrome de l’imposteur. C’est fou, car encore une fois j’ai vraiment beaucoup été impliquée dans des reportages liés à la culture, l’histoire, l’art, et souvent félicitée pour mes commentaires. Néanmoins je sentais confusément une lacune. Yolanda Wood s’est montrée d’une générosité et d’une efficacité bluffante. Nous avons vraiment tous beaucoup travaillé. J’y ai appris l’importance de la lecture d’articles et de ressources documentaires théoriques. Elle nous a partagé sa « recette », et je l’en remercie chaleureusement. Il n’y a rien de mieux que le travail collectif. L’idée de se faire lire et de laisser les autres participants commenter son travail est un enrichissement inégalable.

CDA : Que pensez-vous que ce séminaire peut apporter à l’art caribéen ?

NP : Je trouve cette initiative tout à fait exemplaire. Elle ouvre une voie. Sans les critiques d’art et les commissaires d’exposition,  les œuvres n’ont pas le même impact. Il faut en convaincre les acteurs du milieu de l’art dans la région. C’est à cette condition que les productions caribéennes seront mieux référencées et mieux contextualisées. C’est très important. Ce projet montre également que l’art ce n’est pas seulement peindre, ou photographier ou sculpter. C’est tout un écosystème de métiers qu’il nous reste encore à élaborer dans la Caraïbe. Il faut former des conservateurs, des archivistes, des historiens de l’art etc… La bonne diffusion de nos productions tient à cela. J’en suis convaincue.

CDA : Que pensez-vous du Centre d’Art ?

NP : Je vois le Centre d’Art de Port-au-Prince comme notre fromager. Un MAPOU (sourire). Il s’inscrit dans une histoire de l’art en Haïti absolument atypique, riche, avec des histoires personnelles incroyables. Il est situé au sein de la première nation noire libre de la région. Il y aurait tellement à dire ! Ses activités malgré les atermoiements politiques, climatiques, les drames, demeurent pour moi une énigme. Quelle force ! Je crois que l’histoire du Centre et le fait qu’il se maintienne encore illustre parfaitement la place qu’Haïti a toujours occupée : une terre de résistants. Le Centre est une figure du Marronnage contemporain en quelque sorte. Je remercie vivement l’équipe de m’avoir acceptée dans cette aventure.

CDA : Comment comptez-vous partager les connaissances acquises dans ce séminaire avec votre entourage ?

NP : Eh bien déjà en plaidant pour que ce type d’initiative se développe. Et je compte sur le Centre pour poursuivre en ce sens. Je le vois comme le carrefour caribéen des arts. Le creuset où toutes les caraïbes se retrouvent sans barrière de langue ou de frontières de quelque sorte que ce soit. Je souhaite au Centre d’Art de négocier ce virage et de rayonner dans l’archipel. Ensuite, bien entendu, je vais désormais pratiquer mes commentaires avec les bons conseils de la merveilleuse Yolanda. Elle est un puits de connaissances théoriques. Tout l’inspire, elle est incroyable !

Le séminaire en critique d’art est un pan du projet « 𝐌𝐢𝐬𝐞 𝐞𝐧 œ𝐮𝐯𝐫𝐞 𝐝’𝐮𝐧 𝐫é𝐬𝐞𝐚𝐮 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥𝐚 𝐜𝐫é𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐞𝐭 𝐥𝐚 𝐝𝐢𝐟f𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥’𝐚𝐫𝐭 𝐜𝐚𝐫𝐢𝐛é𝐞𝐧 », initié par le Centre d’Art avec l’appui financier du Fonds Internationale pour la Diversité Culturelle de l’UNESCO. À travers ce projet, le Centre entend fédérer et animer une communauté créative au sein des Caraïbes.

Retrouvez la biographie de Nadine Priam

D’abord journaliste professionnelle, j’ai effectué l’essentiel de ma carrière à France-télévisions dans ses chaînes Outre-Mer. J’ai collaboré à plusieurs services et ai beaucoup voyagé en particulier dans le cadre de missions relatives aux événements politiques dans la Caraïbe y compris en Haïti en 2004. J’ai à titre personnel sillonné la Caraïbe des Bahamas à Trinidad et j’y ai d’excellents amis partout. J’ai étudié au Barbados Community College où j’ai obtenu un Associate Degree in English and Spanish littérature, c’était en 1990. J’étais déjà convaincue à l’époque que l’avenir se jouait dans la mobilité intra-Caraïbe. Une trentaine d’années plus tard et après une carrière dans le journalisme d’actualité politique, sociale, économique, de belles réalisations professionnelles, j’ai décidé de me consacrer à mon jardin secret : l’art, qui est une histoire de famille. Ma sœur est artiste et ma mère avait un joli coup de pinceau. Mais je n’ai aucun talent similaire. (rires). Je me suis formée à Bordeaux (1990-1994) après la Barbade pour le Journalisme, ensuite à l’Universidad de Pamplona en Espagne, puis à la faveur de ma reconversion  ( 2019) que je voulais sérieuse, à l’école des métiers de l’art à Paris, l’IESA, il y a trois ans. j’y ai choisi donc l’option marché de l’art. Cela me passionne complètement. J’interviens pour des artistes en Afrique et en Floride essentiellement ainsi que pour des maisons de ventes aux enchères pour approfondir la documentation d’œuvres de la région.

J’anime enfin un compte Instagram dédié aux figures méconnues de l’histoire de l’art en caraïbe francophone en période coloniale, post-coloniale et contemporaine. Il s’appelle @trayskreyol. ( la référence au Tray est un hommage à la place des femmes dans nos sociétés).

 J’ai un faible pour l’art ancien en ce qu’il nous enseigne des faces insoupçonnées de notre histoire générale.

J’ai enfin un projet relatif à l’animation du marché de l’art dans toute la région. Je suis mère de 4 filles.