Les tables rondes avec des psychologues s’achèvent

© Charly Amazan

Des artistes, éprouvés par la violence et l’incertitude, témoignent en ressortir plus forts, mieux armés pour affronter leur quotidien.

Ils viennent de Martissant, de la Grand-Rue, de Carrefour-Feuilles, de Bel-Air, de Solino, de Croix-des-Bouquets… des quartiers profondément marqués par la violence des gangs, qui y ont brûlé, pillé, tué.

Certains sont aujourd’hui des déplacés internes. Ils ont dû fuir leur quartier pour se réfugier dans des camps improvisés ou chez des proches. Ces déracinements ont profondément affecté leur moral, ébranlé leur estime de soi, altéré leur stabilité émotionnelle et fragilisé leur rapport au monde.

« J’avais développé une forme d’agressivité et un manque de patience ces derniers temps. Je ne me reconnaissais plus. C’était lié à mon départ forcé de ma maison et de mon atelier. J’ai perdu tellement de choses… », confie Frantz Pierre Louis, ancien résident de Carrefour-Feuilles, un quartier passé sous le contrôle d’hommes armés depuis août 2023.

« Nous avions perdu tout espoir », ajoute Pierre Jean, lui aussi originaire de ce quartier.

Lors des tables rondes avec les psychologues, ces artistes ont pu déposer leur charge mentale, parler librement de leurs douleurs, exprimer leurs traumatismes et renouer peu à peu avec eux-mêmes. Ces échanges, parfois bouleversants, leur ont permis de retrouver une forme de stabilité intérieure et d’envisager la création comme un chemin de reconstruction.

« J’ai pu identifier les causes de ces comportements étranges et apprendre à les contrôler. Je me sens plus léger. Quelle que soit la situation, je me sens désormais capable de la gérer », témoigne encore Frantz Pierre Louis.

Pierre Jean, avec plus d’une quarantaine d’expositions à son actif, explique que les tables rondes lui ont permis de se revaloriser, de redécouvrir son identité profonde :

« Je sais maintenant qui je suis réellement et peux nourrir l’espoir d’un lendemain meilleur. »

Certains artistes, « n’ayant aucune destination », vivent toujours dans des zones sous l’influence de groupes armés.

« On est pris en étau, confie l’un d’eux. Les chefs de quartier ont le pouvoir de vie ou de mort. Et les policiers, loin de nous protéger, nous traitent aussi comme des ennemis. »

Marie Gérald Morilus et sa sœur Farah vivent avec leur famille à Bel-Air, un quartier sous contrôle de groupes armés. Lors d’une opération des forces de l’ordre, leur maison a été rasée. Depuis, elles dorment dans un abri de fortune, exposées à la pluie et à l’angoisse permanente.

« J’ai supplié ma sœur de m’emmener aux ateliers avec elle », confie Farah. « Je ne regrette rien. Depuis l’enlèvement de mon fils, j’étais submergée. Même après l’avoir récupéré, le cauchemar ne s’arrêtait pas. C’est à l’atelier que j’ai compris que mes douleurs venaient d’un stress extrême. Le simple fait de quitter mon environnement, de retrouver d’autres personnes marquées comme moi, et de pouvoir m’exprimer m’a offert un immense soulagement. »

Deux cycles de tables rondes ont été proposés dans le cadre du projet Ann Kwape Vyolans ak Lakilti, animés par les psychologues Roseline Benjamin et Jacqueline Baussan. À travers cette initiative, le Centre d’Art et ses partenaires, l’OEA en Haïti, la PADF et le gouvernement du Canada, , ont voulu offrir aux artistes un espace sûr pour se reconstruire, échanger et retrouver leur élan créatif, malgré un contexte d’extrême adversité.